Le forfait jour remis en question dans les GMS
Un petit rappel juridique :
Article L3121-48 :
Les salariés ayant conclu une convention de forfait en jours ne sont pas soumis aux dispositions relatives :
1° A la durée légale hebdomadaire prévue à l'article L. 3121-10 ;
2° A la durée quotidienne maximale de travail prévue à l'article L. 3121-34 ;
3° Aux durées hebdomadaires maximales de travail prévues au premier alinéa de l'article L. 3121-35 et aux premier et deuxième alinéas de l'article L. 3121-36.
Autrement dit, les cadres ayant signé une convention de forfait en jours sur l’année ne sont pas tenus de respecter les 35h hebdomadaires, les 10h maximales quotidiennes ni les 48h maximales hebdomadaires.
C’est la porte ouverte à tous les excès dans la grande distribution, et chez Carrefour entre autres.
Et pourtant, au vu de l'article L3121-43, je cite, “peuvent conclure une convention de forfait en jours sur l'année, [...] les cadres qui disposent d'une autonomie dans l'organisation de leur emploi du temps et dont la nature des fonctions ne les conduit pas à suivre l'horaire collectif applicable au sein de l'atelier, du service ou de l'équipe auquel ils sont intégrés."
C’est là que le bât blesse : les horaires sont (tacitement) imposés. Les cadres doivent respecter des horaires du type :
Lundi : 6h-18h30
Mardi : 4h-19h
Mercredi : 4h-21h15
Jeudi : Repos
Vendredi : 6h-19h
Samedi : 6h-18h30
TOTAL : environ 60h par semaine !!!
Heureusement, cette pratique a fait l’objet d’une condamnation :
Qui dit cadre ne dit pas corvéable à merci
Article tiré du journal "Le Populaire" du 13 juin 2012
En clair, ce n’est pas parce qu’on est cadre avec un système de forfaits jour que les journées de travail peuvent être extensibles à souhait… Ce n’est pas parce qu’ils possèdent ce statut que les cadres, au gré de leur employeur, peuvent travailler 12 à 13 heures par jour sans que soient respectés les temps de repos et les règles sur l’amplitude de travail.
La convention de forfait jour appliquée par l’hypermarché Carrefour de Boisseuil à un chef de rayon qui effectuait plus de 60 heures par semaine a été purement et simplement annulée par la Cour d’appel. Selon elle, en effet, le forfait jour s’applique aux cadres disposant « d’une autonomie dans l’organisation de leur emploi du temps ». Or comme l’avait noté en première instance le conseil de Prud’hommes de Limoges, la Cour estime qu’il existe « un doute » sur l’autonomie du chef de rayon, Carrefour lui imposant au quotidien un planning de travail à respecter.
Carrefour a été ainsi condamné à payer un peu plus de 100.000 euros au total pour le licenciement, jugé sans cause réelle et sérieuse, dont 30.000 euros au titre des heures supplémentaires et « 15.000 euros pour non respect des règles relatives à l’amplitude journalière et au repos obligatoire ».
C’est l’avocat limougeaud maître Richard Doudet qui vient d’obtenir cette condamnation pour son client. Potentiellement, l’ensemble des cadres de la grande distribution pourraient engager des démarches identiques et obtenir gain de cause devant les Prud’hommes.
« Avec le système des forfaits jour, certains employeurs ont eu tendance à penser que les journées de travail, c’était no limit… », indique maître Richard Doudet.
« Cette décision peut changer la vie de ces pseudos cadres qui travaillent parfois plus de 60 heures », estime l’avocat. Elle pourrait en tout cas faire tâche d’huile dans la grande distribution… mais également dans tous les domaines où les cadres sont au forfait jour.
Pour l’avocat « le non respect de ces règles de droit social constituait aussi une grave rupture d’égalité entre les employeurs. Le petit commerçant qui doit payer chaque heure supplémentaire subissait de plein fouet la concurrence déloyale des grandes enseignes. »
Le chef de rayon gagnait certes 2.365 euros brut par mois. Mais en travaillant aux alentours de 67,5 heures par semaine, « il gagnait au taux horaire presque autant que sa collègue caissière travaillant aux 35 heures. »
Pour l’instant, les cadres, faute d’être informés de cette décision, sont rares à avoir entamé des démarches pour demander une application stricte de leur droit. Mais ils sont nombreux dans ce cas et légitimes, au regard du droit européen, à pouvoir prétendre à un strict respect des horaires de travail et des temps de repos.
Il ne reste plus qu’à diffuser largement cette information pour que d’autres osent protester.